jeudi 30 septembre 2010

La carte noire de Melville : les passants de la nuit














Pour mettre un terme, momentané, à mon obsession Melville, sur qui je reviendrai dire deux ou trois choses que je sais, je choisis une photographie où “surgissent” ses yeux admirablement ombrés, qu'il dissimulait toujours derrière des lunettes noires, et une chanson crépusculaire de Frank Sinatra.


A long night
Musique d'Alec Wilder, paroles de Loonis McGlohon

A Long night, it's a long night, my friend
The barrooms and the back street's dead end
Sometimes I thought I saw the sunrise and good times in the air
It was just, it was just another big town with midnight's neon glare

Long night, it's a long night, I know
The bus rides and the
"nowhere to go"

I've seen what the street corners do to things like love and dreams
Seen what the bottle can do to a man with his hopes and his schemes

A long night, what a long night it has been
The wheelers and the dealers, they win
I've tasted the 90-proof gin and chased it away with the blues
I rarely paid debts that I owed but I sure have paid my dues

No daylight, just a long night for me

(Enregistré en 1981, extrait de Sinatra, She shot me down)

mardi 28 septembre 2010

La carte noire de Melville : un seigneur sur ses terres

Impossible de chasser mon obsession Melville.
Il était vertueux.
Je demeure sur le seuil, intimidé, fasciné par l'opacité de son mystère, qui résistera à tous les interrogatoires.

lundi 27 septembre 2010

La carte noire de Melville : la vie élégante

Lorsqu'il se vit, à l'écran, pour la première fois, dans Le cercle rouge, Bourvil s'écria : «Mais, je suis beau !»
Jean-Pierre Melville avait veillé à lui donner une belle garde-robe, ainsi que de d'élégants chapeaux. Bourvil, très malade, mourut peu de temps après la sortie du film.
La dernière scène fut tournée dans le parc du château de Monthyon, propriété de Jean-Claude Brialy, près de Meaux, où termina ses jours Jacques Chazot, pauvre, abandonné de tous excepté de Brialy.
C'est d'ailleurs à Monthyon que cet homme de grande qualité s'est éteint, en 2007. Il a fait don de sa demeure (XVIIe-XVIIIe siècles) à la municipalité de Meaux, afin qu'elle en fasse un lieu «dans l'esprit de la villa Médicis».



















dimanche 26 septembre 2010

La carte noire de Melville : la vie solitaire

«Il était à peu près 11 h du soir, près du pont Garigliano. Les combats ont duré toute la nuit du 11 au 12 mai 1944. J'ai alors pris la décision de posséder mes propres studios de cinéma. Je me suis dit que la guerre allait prendre fin, alors, j'ai eu envie de faire des projets. Avoir ses propres studios, c'est une situation de rêve ; en même temps, c'est une vie de cauchemar !» (Jean-Pierre Melville)

mardi 21 septembre 2010

La carte noire de Melville : la vie paradoxale

Retour d'une plaisante soirée. Les rues de Paris, en cette fin d'été fraîche et sèche, ne désemplissent pas. Les étrangers y sont heureux, comme étonnés de tant de diversité. Mais il est d'autres personnages, plus inquiétants…
Je m'aperçois que nous n'avons presque plus de visiteurs chez Tous les garçons. Serait-il temps de tirer le rideau, cette fois, pour de bon ? En attendant, j'ai encore deux ou trois choses à suggérer ainsi qu'à terminer.
Dans la nuit parisienne, un moment importuné par des ombres populacières, qui deviennent rapidement agressives voire dangereuses, j'ai pensé à Bob le flambeur, un film de Jean-Pierre Melville, avec Isabelle Correy, affriolante, piquante, charnue, Daniel Cauchy, dévoué à son grand homme, à son dur de référence, à son grand frère, Roger Duchesne.
Bob le flambeur est un film noir, toujours élégant, dans lequel circulent et se croisent des destins contrariés.
Jean-Pierre Melville, juif, résistant, gaulliste, manifesta toujours deux qualités majeures ; le sens du mystère relativement à sa vie privée, et une totale indépendance d'esprit, de jugement. C'est ainsi qu'il choisit, en parfaite connaissance de cause, le comédien Roger Duchesne, alors que ce dernier s'était compromis sous l'occupation. Il n'était certes pas nazi, Roger, mais il aimait à se distraire. Melville lui donna une chance ; la situation devait lui plaire au plus haut point.
Quelqu'un, qui connut bien Duchesne, mort en 1996, m'en fit le portrait chaleureux d'un homme fantasque, disponible pour toutes les folies.
Derrière ses lunettes noires, j'imagine le regard amusé de Melville, refusant toute chance à la «morale objective».
Cela, c'était la France ; un peuple composé d'individus, imprévisibles, attachants, orphelins de leur enfance, qui croyaient fermement que la fiction accordait une chance supplémentaire à la réalité.






jeudi 16 septembre 2010

En instance de libération























Il attendait derrière ces barreaux. Enfin, elle parut, fraîche, souriante, jolie comme tout. Il fut d'abord gêné, à la manière d'un prisonnier à qui l'on rend visite au parloir de la prison. Mais, avec son entrain, sa grâce impatiente, elle brisa la vitre invisible qui les séparait, se saisit tendrement de son maillot horizontal, le libérant ainsi des barres verticales. Il n'attendait qu'elle pour s'évader !


Photo PM

lundi 13 septembre 2010

Métamorphose












Cet homme s'appelle Daniel Emilfork (1924-2006). Je l'ai vu, au théâtre, dan un spectacle autour de Kafka, il y a bien longtemps, au TNS (Strasbourg), mis en scène par André Engel : souvenir très flou de la pièce, mais très fort d'Emilfork, naturellement fragile, diaphane, recroquevillé dans une sorte de «métamorphose» impressionnante. Bien sûr, je le revis à Paris. D'ailleurs, il n'avait cessé de hanter mon imagination, depuis mon enfance.
Il saisissait les objets comme pour les dérober, non pas à son profit, mais au réel. Il semblait posséder un pouvoir surnaturel, ou bien une habileté supérieure. Quand il était là, l'espace procédait de lui, de sa capacité à en former l'apparence et les limites.
L'écrivain François Jonquet est parvenu à fonder une amitié brève mais forte avec Daniel Emilfork. Immédiatement après la mort du comédien, il a écrit un témoignage passionnant sur cet étrange enchanteur. Si l'on est sensible, on pleurera à la lecture de certains passages, et l'on se réjouira à chaque moment. (François Jonquet, Daniel, Sabine Wespieser éditeur)

«[…] Renée Saurel, la critique des Temps modernes, la traductrice d'Odön von Horvath, la compagne de Jacques Lemarchand, morte il y a quinze ans. Celle qui aimait cet acteur en lançant à la cantonade : «Emilfork, tu ne peux pas lui donner d'âge...» Et encore : «Ce rastaquouère, je l'adore...», et qui avait compris, dès les débuts chez Claude Régy et Tania Balachova, années 50, que ce corps d'angles, plein de dents et de gestes vifs, aurait un destin hors norme.» (Mathilde La Bardonnie).

Les trois portraits ci-dessus sont de François-Marie Banier, écrivain, photographe justement réputé à l'étranger, méconnu en France, aussi à l'aise et attentif dans une loge de concierge que dans un appartement de la rive gauche. Sa très brillante conversation, la beauté de ses traits lorsqu'il était jeune, son talent vrai lui ont ouvert bien des cœurs et des portes. Il est mêlé à un scandale retentissant, qui fait trembler le gouvernement.

dimanche 12 septembre 2010

Hardiment sentimentale


«Beaucoup de mes amis sont venus des nuages
Avec soleil et pluie comme simples bagages
Ils ont fait la saison des amitiés sincères
La plus belle saison des quatre de la terre»
[…]

Blessure narcissique

Loup gris et Canteloup
























samedi 11 septembre 2010

J'aimais déjà les étrangères…

Ce n'est certes pas ici que j'évoquerai le sarkozyste “problème des roms”. En revanche, je dirai, une fois de plus, la grâce violente des Tziganes. Il y eut un temps où un journaliste, Joseph Kessel -excusez du peu !- présentait des artistes venus de la lointaine Russie, authentique Tziganes, artistes incomparables. Ils enchantaient les soirées parisiennes, dans les rares cabarets russes qui valaient la peine d'être fréquentés. Jef les fit monter sur la scène de l'Olympia, où ils reçurent un triomphe. La voix de Valia m'avait bouleversé ; j'étais encore un petit garçon, mais j'aimais déjà les étrangères… Kessel est mort depuis longtemps. À présent, nous avons des journalistes retraités, qui digèrent difficilement ; pour cette raison, ils prennent leur bile pour un mode de raisonnement et d'information !
(Pour d'autres chansons tziganes, voir ici, , ici)

Note : Teresa Dimitrievitch, fille de Valia et par conséquent nièce d’Aliocha, tenait naguère une sorte de restaurant, rue de la Jonquière, un coin un peu reculé de l'élégant XVIIe arrondissement de Paris, sans charme, mais essentiel à mes yeux, comme tous les lieux d'initiation. C'est en effet dans la piscine dite alors de la Jonquière que j'appris à nager. L'établissement de Teresa donnait sur la steppe, où s'enfuyaient les voleurs de poules…

Note encore : on oublie que, dans la vieille Russie, les Tziganes jouaient un rôle capital dans le divertissement. Ils tenaient les meilleurs cabarets de Moscou et de Saint-Petersbourg, et les plus habiles parmi leurs musiciens se faisaient payer des fortunes pour aller égayer, à domicile, les soirées des aristocrates. Ils s'installèrent à Paris, après la Révolution ; la diaspora russe et les parisiens en général s'amusaient follement à Raspoutine, décoré, je crois, par Erté. Voilà une éternité que je n'y suis pas allé. Il est certain que l'ambiance n'est plus la même.

Ne sois pas fâché, ne sois pas jaloux , Valia Dimitrievitch et Volodia Poliakof


vendredi 10 septembre 2010

Trop d'eau bue tue

Une élégante silhouette debout près d'un piano noir…

jeudi 9 septembre 2010

Les bijoux de Lulu 2

Et que dites-vous de cela, public aimé ?
Entendez Serge, dit L'élégant du boulevard, conter et chanter le désenchantement prolétarien et son rêve alcoolisé. C'est beau comme du Baudelaire encanaillé.
«(1952) À Paris, nous atterrissons rue Saint-André- des-Arts, de nouveau à l'hôtel, dans une chambre minuscule au cinquième étage. Le lit est trop petit pour un couple. Au mur, d'affreuses pivoines rouges sur fond vert inspirent Lulu : c'est là qu'est née la chanson L'Alcool […]»
Lise Lévitzky, Lise et Lulu, First Document


Mes illusions donnent sur la cour
Des horizons j'en ai pas lourd
Quand j'ai bossé toute la journée
Il m'reste plus pour rêver
Qu'les fleurs horribles de ma chambre

Mes illusions donnent sur la cour
J'ai mis une croix sur mes amours
Les p'tites pépés pour les toucher
Faut d'abord les allonger
Sinon c'est froid comme en décembre

Quand le soir venu j'm'en reviens du chantier
Après mille peines et le corps harrassé
J'ai le regard morne et les mains dégueulasses
D'quoi inciter les belles à faire la grimace
Bien sûr y'a les filles de joie sur le retour
Celles qui mâchent le chewing-gum pendant
l'amour
Mais que trouverais-je dans leur coeur meurtri
Sinon qu'indifférence et mélancolie
Dans mes frusques couleur de muraille
Je joue les épouvantails

Mais nom de Dieu dans mon âme
Brûlait pourtant cette flamme
Où s'éclairaient mes amours
Et mes brèves fiançailles
Comme autant de feux de paille
Aujour'hui je fais mon chemin solitaire
Toutes mes ambitions se sont faites la paire
J'me suis laissé envahir par les orties
Par les ronces de cette chienne de vie

Mes illusions donnent sur la cour
Mais dans les troquets du faubourg
J'ai des ardoises de rêveries
Et le sens d'ironie
J'me laisse aller à la tendresse

J'oublie ma chambre au fond d'la cour
Le train de banlieue au petit jour
Et dans les vapeurs de l'alcool
J'vois mes châteaux espagnols
Mes haras et toutes mes duchesses

A moi les p'tites pépés les poupées jolies
Laissez venir à moi les petites souris
Je claque tout ce que je veux au baccara
Je tape sur le ventre des Maharajas
A moi les boîtes de nuit sud-américaines
Où l'on danse la tête vide et les mains pleines
A moi ces mignonnes au regard qui chavire
Qu'il faut agiter avant de s'en servir
Dans mes pieds-de-poule mes prince-de-galles
En douce j'me rince la dalle

Et nom de Dieu dans mon âme
V'là qu'j' ressens cette flamme
Où s'éclairaient mes amours
Et mes brèves fiançailles
Où se consumaient mes amours
Comme autant de feux de paille
Et quand les troquets ont éteint leurs néons
Qu'il n'reste plus un abreuvoir à l'horizon
Ainsi j'me laisse bercer par le calva
Et le dieu des ivrognes guide mes pas

L'alcool (1958)

mercredi 8 septembre 2010

L'art de s'étendre

Pour Pierre, cette dernière douceur, L'herbe tendre, chantée en duo par Lulu Gainsbourg et Michel Simon, ce dernier avec sa voix de palais et de lèvres, qui paraissait sortir de son regard. Lulu et Michel Simon avaient en commun d'être des érotomanes, avec un encanaillement plus accentué chez Michel Simon. Il possédait mille objet précieux ou de bazar, dont certains eussent fait rougir les dames qui nous rendent visite en ces lieux. L'ensemble fut mis en vente à Drouot, dans une salle dont l'entrée, interdite aux moins de dix-huit ans, était rendue opaque par deux grands rideaux noirs. Il y eut de très nombreuses visiteuses, rougissantes mais ravies !

mardi 7 septembre 2010

Les bijoux de Lulu

Pour clore la présente séquence consacrée à Gainsbourg, et pour faire la nique à M. Jo, voici, unis à la scène (comme à la ville) Philippe Clay et Lulu Gainsbourg dans une pièce très rare, que vous ne connaissiez peut-être pas : L'assassinat de Franz Léhar, paroles et musiques de Lulu himself. C'est extrait de l'émission Demandez le programme (1964), réalisée par Maurice Château. Alors, on est pris de vertige : c'était bien la peine que la télévision commence aussi haut, si c'était pour finir aussi bas !



Un jour que je m'en allais par
Le pont des Arts
Dans mes pensées, ma rêverie
Je me surpris
À croiser un
Homme-orchestre un
Peu assassin
Il travaillait du piccolo
Et du chapeau
Des flûtes, des coudes, du cor
Et, mieux encore,
De l'orgue oui
Mais, comme on dit,
De barbarie
Ce qui sortait de ses instruments
C'était sanglant […]

(Chaleureux remerciements à un certain myfairjoker, qui a pris le soin de mettre en ligne ce morceau de roi, par ces deux princes.)

dimanche 5 septembre 2010

Serge en automne

1961, Gainsbourg travaille encore dans la haute couture. Les universitaires diraient qu'il se produit dans La chanson de Prévert une mise en abîme : une chanson dans la chanson. On notera l'élégance du personnage, son beau visage en lame, impeccable, et la voix puissante et grave. Il y a du crooner nonchalant des bords de Seine chez cet homme.

Le bœuf sous un toit

Serge Gainsbourg au piano, accompagné de deux pointures : Michel Gaudry à la contrebasse, et un bassiste d'une dextérité remarquable, Elek Baksik, d'origine hongroise, si doué, que son jeu compense l'absence d'un batteur. Gainsbourg en pianiste de jazz ? Certes pas ! Mais ce “bœuf” en noir et blanc, dans cet appartement enfumé, entre des camarades enjoués, est éminemment sympathique.
Le morceau, composé par Oscar Hammerstein, s'appelle All the things you are.



Dans la peau de Serge

En 1958, le beau Serge, fait paraître le long player joliment titré Du chant à la une. Il présente, tel un premier communiant un peu crispé, l'une des chansons de l'album Douze belles dans la peau.
En fait, Gainsbourg, parolier et interprète, bénéficia très vite d'un soutien actif de la part des producteurs de télévision, lesquels aidaient considérablement la chanson française.
Tous ces gens étaient à leur place et avaient du talent.


samedi 4 septembre 2010

Madame Lulu



Il me semble bien, depuis longtemps, que Serge Gainsbourg éprouva une violente déconvenue, une blessure jamais refermée, lorsqu'il se contraignit à abandonner la peinture. Il était certainement doué pour cet art qu'il qualifiait lui-même de majeur, mais il comprit qu'il ne pourrait pas adapter son style, sa manière, au goût du jour.
Par ailleurs, Lise tord le cou à la réputation "libertaire” de Serge, qui était, au vrai, un "classique”, un fervent admirateur et un bon connaisseur des écrivains et poètes français du XIXe siècle.
En complément de ces déclarations, que je trouve fraîches et bienveillantes, vous lirez l'entretien que Lise a accordé à Ouest France, le 12 avril 2010, dont voici un bref extrait :

Comment est née cette histoire d'amour qui a duré 44 ans ?

C'était le 5 mars 1947. Quand j'ai rencontré Lucien (le vrai prénom de Gainsbourg) à l'Académie Montmartre, c'était un petit Juif russe. Moi aussi j'étais russe, mais d'une famille d'aristocrates épouvantablement antisémites. Notre amour a été une fête extraordinaire. Nos deux familles ne s'aimaient pas. On voulait vivre un amour libre, à la manière de Sartre et Beauvoir. C'était la bohème. Je ne voulais pas dépendre d'un homme, j'étais secrétaire du poète surréaliste Georges Hugnet et dans des maisons d'édition. Je peignais, Lulu assez peu. Il disait pourtant qu'il était destiné à devenir un grand peintre.

Un jour, vous vous retrouvez chez Dali...

Pendant quatre mois ! Le poète pour qui je travaillais, malade, ne pouvait plus m'employer, je n'avais plus de logement. Sa femme m'a passé les clés d'un appartement que Dali n'occupait pas. Il y avait des tableaux partout. Lulu, au service militaire, me rejoignait quand il avait une permission. Il avait 21 ans et moi 23. Gala, femme de Dali, inquiète qu'une jeune femme occupe son appartement, est venue compter les draps. Même pas les tableaux, les draps ! Dali est venu le lendemain, avec du champagne, excuser sa femme. Il nous a ouvert une pièce, tapissée d'astrakan noir, du sol au plafond. Lucien était suffoqué : qu'on puisse fouler ça aux pieds était merveilleux. C'est de là que lui est venue l'idée, bien plus tard, de tapisser de noir son appartement de la rue de Verneuil. […] La suite ici

jeudi 2 septembre 2010

Vous dansez, mademoiselle ?

Pour le plaisir, à la fin d'un été qui fut éblouissant et doux, et pour inaugurer une séquence Gainsbourg, cette chanson, qui invite à la danse, à l'oubli et à plus si affinités…

mercredi 1 septembre 2010

La roue tourne

Pédaler pour la France






















Laurent Fignon est mort. Il aimait la course cycliste, les sciences exactes et la littérature. À sa manière, il a signalé, moins évidemment que Jacques Anquetil, une forme de dandysme chez les grands routiers. Très perspicace, ironique, d'une franchise parfois brutale, il a gagné autant grâce à sa tête que grâce à ses jambes. Excellent grimpeur, il roulait moins aisément que les athlètes, tel Greg LeMond (champion de triathlètisme), qui remporta le tour de France, en 1989, après une course contre la montre palpitante : 50 secondes séparaient LeMond de Fignon, au profit de ce dernier, avant l'ultime course contre la montre, entre Versailles et les Champs-Élysées. À l'arrivée, l'américain avait 8 secondes d'avance ! Jamais un si faible chrono n'avait départagé les deux premiers du Tour. En forme d'hommage, je reprends ici un des premiers textes de ce blogue, d'une séquence consacrée au tour de France. On me pardonnera cette auto-citation.


Anquetil : pédaler moins pour gagner plus

Le coup de pédale, «c'est l'homme même». Sur un plat, dans une côte légère, dans l'escalade du Tourmalet ou dans le plongeon vers le fond de la vallée, jusqu'à la manière de s'élancer dans un «contre la montre», chacun adopte une position qui lui est propre, combine des postures, les alterne et compose ainsi des figures remarquables. Chez les Italiens, Fausto Coppi, « il campionissimmo», n’eut pas d’égal. Sa séduction, sa «manière», tout en lui le séparait des autres. Mais celui qui parvint, chez les Français, à obtenir le meilleur coefficient de pénétration dans l’air, celui-là se nommait Jacques Anquetil (1934-1987). Toujours, il démontra un courage discret, une aisance de danseur. Il a incarné la recherche de l’effort minimal, et, comme nul autre, l’insupportable facilité d’être champion cycliste. Avec cela, son pouls, au repos, battait à quarante pulsations par minute, à soixante-dix en plein effort. Agaçant ! Quant à sa diététique, elle lui était inspirée par Gargantua. Irritant !

Il s'avança, tel un beau blond d'époque, mince comme un muscle profilé : un normand de terre et d’air, un viking policé. Ses victoires, il semblait les obtenir avec l'économie d'énergie des grands paresseux : «Je ne suis pas venu pour courir, simplement pour gagner. Mais je vous laisse, on m’attend.» Il faisait son «Maître Jacques» comme en se jouant, et, même quand il souffrait, il voulait qu’on prît ses grimaces pour des sourires. C’est pourquoi il ne fut pas tout à fait un héros absolu du tour de France. Avec cet elfe malicieux, le public, frustré, se plaignait de ne pas «voir le travail». Il était comme un costume futuriste, au tombé impeccable, mais dont on chercherait en vain les coutures. Il laissait dans son sillage princier la longue trace des courageux, des obstinés, des besogneux, des «forçats». Jacques Anquetil, seigneur simple, abolit tout effort inutile. Il ne ressemblait à personne, il n’eut pas de successeur. Longtemps après sa mort, on voulut nous révéler des choses cachées : je compris surtout qu'il aimait les femmes et que ces dernières ne détestaient pas lui faire plaisir. J'en conclus qu'il fut un heureux homme.

Je le vis, peu de temps avant sa mort, dans un grand café de la rue Drouot. Il entra, accompagné de quelques amis. Applaudi par toute la salle, qui s'était levée, il répondit par un grand sourire de renard et un geste du bras. Après son décès, les patrons du lieu placèrent un poster, qui le représentait, derrière le bar. Ils ont vendu, la décoration a changé : ni le personnel, ni les consommateurs, très «nouveaux parisiens», ne se soucient de Jacques Anquetil.

Photographies X, droits réservés : ci-dessous, Laurent Fignon s'échappe, laissant derrière lui Greg LeMond ; en haut, Jacques Anquetil



Inoubliable !

De sa belle voix rauque, l'extravagante Hidegarde Knef, nous dit combien il est difficile d' (de m') oublier.



Ich wollte dich vergessen
Texte et chant,
Hildegard Knef
Musique, Gert Wilden

Ich wollte dich vergessen
Ich dachte es wäre so leicht
Es war doch ein Spiel, das uns beiden gefiel
Eine Nacht, die den Tag nie erreicht
Ein Abschied ohne Tränen erinnerung,
Die schmerzlos verweht

Ein Glück ohne Spur,
Begegnung die nur

Für die Nacht und ihr Sehnen lebt
Ich wollte dich vergessen
Und fortgehn als wär nichts geschehn

Ce qui pourrait se traduire par :

Je voulais t'oublier,
J'ai cru que ce serait facile.
Ce n'était qu'un jeu,
Une partie de plaisir,
Une nuit qui n'atteindrait pas le jour,
Un départ sans larme,
Un souvenir sans chagrin,
Un bonheur sans lendemain,
Une rencontre pour le temps d'une nuit, d'un désir,
Je voulais t'oublier
Comme si rien n'avait été

© Musikverlag Johann Michel GmbH & Co. KG