mercredi 20 octobre 2010

La petite anglaise

Nous sommes deux amis que la nuit seule sépare. Tout nous unit, l'enfance, les jeux, la curiosité pour les choses neuves, le goût de Paris, entre l'avenue de Villiers, le parc Monceau, parfois le square des Batignolles. Nous habitons à deux cents mètres l'un de l'autre, et nous allons du porche de son immeuble à celui du mien, dans un va et vient toujours recommencé, incapables d'interrompre nos conversations Toute séparation nous est insupportable, même celle qui consiste à rejoindre nos foyers respectifs. Deux gosses de Paris, à la fin des années cinquante. Il est le cadet d'une famille nombreuse, l'un de ses aînés commence à s'intéresser sérieusement aux filles, il se rend dans des surprise-parties, il achète des disques, les premiers 45 tours.
Or, nous sommes las du train électrique Hornby HO, avec ses décors de montagne en papier mâché, ses petites gares, ses porteurs à casquette. Nous allons de Tintin à Mauriac. Nous aimons que nos mères viennent nous embrasser, le soir, avant que nous nous endormions, mais nous n'entendons plus qu'avec agacement leurs mises en garde et leurs remontrances. Un jeudi, chez lui, nous écoutons cette chanson. Une magie opère en nous, qui nous métamorphose en playboys des boulevards. Nous découvrons que certaines filles sont «bien balancées». Richard Anthony, grassouillet twisteur à la voix de velours, a fondé une certaine allure française plus rapide, vaguement rebelle, nuancée de rock tendre, séparée des générations précédentes.
Quelques années plus tard, mon ami fracassera sa première MG contre un arbre.




Richard Anthony - Nouvelle Vague

4 commentaires:

J.M.Théaux a dit…

Je préférais la première mouture. Bien désolé qu'elle ait disparu mais je suppose qu'il y une/des raisons. Déraison ? Il n'importe.

Même l'excipit change, cher Patrick. Il devient nominatif. Pourtant j'avais compris, je pense, pour avoir connu mot à mot cette même histoire et cette même fin. Mon ami Boris, lui, s'est pendu.

Anonyme a dit…

Je vous imagine aisément twister entre Wagram et Malesherbes, écouter siffler le train sur le Pont Cardinet et épuiser jusqu'à l'ivresse les joies de ce Paris du monde d'avant qui n'est plus. Au volant d'une anglaise qui pour toujours saurait garder sa route.

Jérôme Leroy a dit…

Modianesque, mon cher Patrick. Vestiaire de l'enfance. Cette mélancolie des grandes villes qui se déploient à a fois dans l'espace et dans le temps, superposant leurs géographies au fil des saisons, car vous le savez comme moi, tout cela change, hélas, plus vite que le coeur d'un mortel

Patrick Mandon a dit…

Cher Jérôme, j'ai retrouvé une lettre qu'il m'avait envoyée, alors que les circonstances nous séparaient. Vraiment, il n'y a pas loin entre les amitiés de l'enfance et l'amour… Et pourtant, il courait le jupon plus vite que son ombre, ce beau gosse poli et insolent, que sa mère adorait !
Tout est dans notre mémoire, véritable continent qu'on ensevelit avec nous.