mardi 7 février 2012

Fin de partie 8- Avec frénésie






Emma Bovary, née Rouault, aura tout tenté pour trouver l’argent de ses dettes. Aucun de ceux qu’elle a sollicités - jusqu’à Rodolphe, son amant, qui est en grande partie à l’origine de ses folles dépenses -, ne lui aura ouvert sa bourse. Elle se retrouve seule face au scandale prochain de la révélation de ses frasques et de son endettement. Elle n’imagine alors que le suicide comme parade à la situation. Elle se précipite chez le pharmacien, M. Homais, étriqué voltairien, rationaliste épais, chez qui elle dérobe et absorbe une dose massive de cyanure. Revenue dans ses foyers, elle se couche et annonce sa mort imminente au pauvre Charles, que l’effroi empêche d’agir. L’agonie d’Emma n’en finit pas, permettant ainsi l’alternance de l’espoir et de l’accablement chez Charles. C’est alors qu’on entend la voix d’un aveugle errant, connu dans la région, poussant le couplet pour ramasser quelques sous. Emma, encore lucide, comprend les paroles de la chanson de l’aveugle comme l’énoncé de sa misérable destinée. Elle y décèle la vanité de ses amours passées avec Rodolphe, la confusion du sentiment amoureux avec un échange de fluide, un frottement d’épidermes, une pulsion plus avide que comblée. Elle se rêvait en amoureuse romanesque, elle meurt sur l’air entêtant d’un refrain polisson de cabaret. La scène atteint au fantastique.


» […] Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.

Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.

— L’Aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là
Et le jupon court s’envola !

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »
(Gustave Flaubert, Madame Bovary)

Tableau : Madame de Loynes (1862), par Amaury-Duval, Musée d'Orsay

1 commentaire:

Anna Valenn a dit…

Patrick, et de un vous signaler mon plaisir de lecture, et de deux, je partage.