mardi 12 juin 2012

Marchand Dabit…


























Sur le blogue d'un ami très talentueux, polémiste vigoureux, une discussion s'est formée autour de la « bourgeoisie ». Elle m'a inspiré quelques réflexions.


Que de bêtises écrites sur le compte de la « bourgeoisie » ! Comme si cette condition sociale représentait la valeur systématiquement négative de la société entière ! Certains parlent d'« émancipation », et lient intimement ce processus (qui relève du chamanisme !) à la disparition, voire à l'éradication de cette fameuse « bourgeoisie ». Invocation militante, que tout cela ! On a supprimé la bourgeoisie ancienne, de manière radicale dans les régimes révolutionnaires, sans violence physique dans les démocraties contemporaines : une nouvelle hyper-classe, inculte, brutale, débarrassée des scrupules qui pouvaient, parfois, freiner nos « braves bourgeois » d'antan, a pris le pouvoir. Vous y avez perdu en qualité culturelle, vous n'y avez rien gagné en générosité sociale. Ce qui me frappe, dans les messages de quelques-uns, c'est cette fixation, obsessionnelle, des torts et des travers des hommes sur une seule classe. Il leur suffit presque d'imaginer la disparition (cruelle si possible, afin d'absoudre le genre humain par la bourrasque prolétarienne) des « bourgeois », pour croire possible l'avènement d'une société lavée de son pêché sinon originel du moins culturel. Chamanisme matérialiste que cela ! De l'incantation avec du « sens de l'Histoire » dedans ! La condition humaine, misérable, précaire, n'abolira pas le mystère de son établissement durable, ni elle ne mettra fin à l'implacable prédation qu'elle exerce sur le monde, par la réactivation de rites sacrificiels, qui relèvent tous de la pensée magique, sinon très obscure. 
Encore ceci : la culture bourgeoise est bourgeoise tant qu'il y a la bourgeoisie ! Existe-t-elle encore, d'ailleurs, cette culture ? Sous quelle forme ? La nouvelle bourgeoisie ne se soucie pas de culture. Ce qu'on appelle « culture bourgeoise » est mort avec la bourgeoisie qui l'incarnait, avec ses défauts et ses qualités, bref, son caractère : indépendance, vertige sentimental, sens de l'absurde et des convenances, individualisme émancipateur, provocation, élégance… Il est vain, mensonger de prétendre que la culture dite bourgeoise peut se répandre, circuler sans la bourgeoisie. Notez bien que le talent est également réparti dans la littérature bourgeoise et dans la littérature populaire (le terme, contrairement à ce qu'on pourrait penser, est restrictif : il signale des écrivains authentiques, sensibles aux aspirations, à l'esthétique des simples gens, comme à leur bêtise bornée). Évidemment, il ne suffit pas de « faire peuple » pour être un écrivain du peuple, ou même un écrivain. Cela ferait de Dan Franck ou de Gérard Mordillat les égaux de l'immense Eugène Dabit, alors que, même réunis à l'accablant Jean Vautrin, ils ne dépassent pas la semelle de ses pauvres souliers !
Ces histoires de culture bourgeoise, c'est à manier avec précaution. On commence par éliminer la bourgeoisie, on finit par éradiquer la culture !

Document : en ce moment, se tient une exposition merveilleuse, au sens propre du mot. Elle présente des modèles du couturier Cristobal Balenciaga, entourés de quelques pièces de vêtement traditionnelles, qui ont enrichi son imagination et sa création. Je ne saurais assez vous recommander de vous y rendre. Je vous en parlerai plus longuement.
Le modèle présenté ici (don du baron Guy de Rothschild au musée de la mode) est une robe de cocktail, courte, de forme dite « Baby-doll » : dentelle noire, ruban en satin rose pâle, fond en crêpe de Chine noir. À l'intérieur, se trouve une ceinture-corset baleinée. Ses volants sont montés sur du crin synthétique. Elle se ferme par bouton-pression. Elle fut créée en 1965. 
Photographie PM

6 commentaires:

Anonyme a dit…

La culture bourgeoise disparaitrait avec la bourgeoisie... Voilà qui est frappé au coin du bon sens mon cher Patrick. Les deux sont intimement liées comme je tentais de le dire chez l'ami dont il était question. Et les poètes, les tableaux, les villas et les vins des bourgeois n'auraient plus aucun sens sans les bourgeois qui vont avec... Ce qui n'interdit pas, bien au contraire, d'offrir à ceux qui n'en ont pas bénéficié au départ les moyens de profiter et de s'approprier cette culture.
Je suis toujours frappée par la fascination/répulsion de ceux qui voudraient "détruire" la bourgeoisie (on aimerait des détails concrets sur l'éradication. Toujours plus facile à dire qu'à faire. ça couine un petit bourgeois qu'on va zigouiller). Un bon psy pourrait nous en dire long sur cette manie du sacrifice originel et de la violence purificatrice. Comme je suis troublée par le ton vaguement méprisant de quelques pétroleurs qui ont trouvé que décidément, les "humbles" manquaient de style et peinaient à s'extraire des clichés. Idiots de pauvres ! Il m'a semblé qu'ils avaient pourtant tout compris, l'intelligence du coeur en vaut bien une autre et les bourgeois ne sont pas forcément ceux que l'on croit.

Pat Caza a dit…

touchant plaidoyer
vous devriez vous faire marin et partir vous reproduire dans tous les ports de ce monde, cher M Mandon
votre texte me rappelle celui-ci d'un type de Toronto
http://thegrumpyowl.com/2011/12/02/dandy-bushido/

toujours un plaisir de passer ici
bien le bonjour

Patrick Mandon a dit…

Deux plaisirs, deux retours : celui de Nadia, qui s'était éloignée, et celui de Pat Caza.
Nadia fait un pertinent développement, j'espère qu'elle reviendra nous parler d'elle ou du reste du monde, qui n'est pas aussi intéressant qu'elle.
Quant à Pat Caza, je l'ai présenté une fois, mais je peux volontiers recommencer. Comment le décrire ? Un type, seul, sur une plage, assiste à un naufrage. Il se précipite, nage vers les naufragés, leur porte secours, manque perdre son souffle et la vie, coule, refait surface, et, au final, sauve une dizaine de personnes. Les secours s'organisent : ambulances, pompiers, couvertures de survie… On veut remercier le héros, on l'entoure, on le congratule, mais, dans les yeux de celui-ci, on lit surtout une sorte d'effroi électrique. Le voilà qui convulse, qui s'époumone, profère des menaces et des cris dans une langue inconnue. Il s'éloigne en courant, fuit, regagne son véhicule et fonce à tombeau ouvert sur la route qui mène vers un blues d'enfer. Cet homme, c'est Pat Caza. Il porte une montre dont les aiguilles remontent le temps, il boit des alcools sans nom de baptême, il caresse d'une main distraite les rudes molosses qui gardent les pavillons de banlieue, et les filles dociles en bas nylon, qui le suivent en permanence. Il ne se souvient pas toujours de la raison pour laquelle il se retrouve au commissariat de police, mais il compte sur les flics pour le lui rappeler. Il lui arrive fréquemment de demander aux passants des nouvelles de leurs mères et s'ils savent où se trouvent, à cet instant précis, leurs pères. On le décrit volontiers comme poli mais sarcastique ; il est raffiné et maigre, craint les courants d'air, monte sur le toit des automobiles pour scruter la piste, joue de la guitare en insultant son voisin. Il prend des coups et oublie fréquemment de les rendre. Il écrit comme un roi privé de son trône. Plus tard, de retour d'exil, il songera à se venger ; alors, ses usurpateurs auront bonne mine ! Après sa mort, on pense qu'il consentira à être une âme errante, assez paisible dans l'ensemble, quoique capable d'émettre un rire sardonique.
Cet homme a toujours prétendu qu'il craignait l'eau salée et les grands requins blancs, pourtant, il a mis l'Atlantique entre lui et nous, et il pourrait aisément pousser plus loin la provocation. Il va aisément d'un point A à un point B, et il fait de ce déplacement somme toute banal un récit épique, où se mêlent la vérité et la panique.
Il se nomme Pat Caza. Il a du style.
Caza, c'est l'autre mot pour dire la légende des clochards célestes. Salut l'artiste !

Joël H. a dit…

Eh bien dites donc ... Bravo !

Pat Caza a dit…

une étoile dans le caniveau...
très chic, merci

Anonyme a dit…

Eloignée mais jamais très loin de vous