mardi 2 janvier 2018

Un peu de désir dans l'eau froide

À Charleville, dans le beau pays d'Ardenne, le nom de Patti Smith est prononcé avec respect. Patti a toujours manifesté une grande admiration pour Arthur Rimbaud. Elle a donné plusieurs documents, dont un dessin, au musée Rimbaud de la ville (que le jeune Arthur qualifiait de « supérieurement idiote entre toutes ». La cité est magnifique : la place ducale est, selon moi, plus accomplie que la place des Vosges à Paris ). Il y a quelque temps, elle a fait l'acquisition d'une maison, sans grand charme d'ailleurs, située à Roche, une sorte de lieu-dit dans la campagne éloignée de Charleville. Aux yeux de Patti, qui souhaitait depuis longtemps acheter un bien dans cette région, cette bâtisse possède une qualité majeure : elle a appartenu à la mère du poète, une femme d'aspect revêche, abandonnée par son mari, crainte et profondément respectée par ce voyou d'Arthur, enfant colérique et imprécateur pour l'éternité des jours.
Jeune, Patti Smith avait un corps flexible d'adolescent. Elle fit la connaissance du photographe Robert Mapplethorpe en 1966. Leur couple fut de l'espèce fusionnelle, augmentée de l'effet « Enfants terribles » de Jean Cocteau : la relation est comme une île ; l'océan qui la cerne, pourtant immense, n'est qu'un décor ignoré. Il se peut que le monde existe, mais il n'aura jamais la consistance, la saveur, l'intensité, la grâce du désir qui nous fonde …

















Robert Mapplethorpe et Patti Smith au Chelsea hôtel, en 1969, par Norman Seeff

De 1969 à 1974, ils occupèrent souvent une chambre du fameux Chelsea hôtel, à Manhattan, où vivait à l'année, pour des loyers dérisoires, toute l'Amérique de la bohème. Ils se séparèrent amoureusement en 1974, mais demeurèrent très liés. Mapplethorpe, mort du sida en 1989, laisse une œuvre passionnante, profondément marquée par son origine catholique et par l'admirable exploration charnelle, sensuelle, la transgression vraie, violemment poétique, la foudroyante inconvenance qu'autorise cette sublime religion des corps et des cœurs « intelligents ».
Dans un récent entretien qu'elle accorda au journal La Croix, Patti fit part de son admiration pour Simone Weil, la jeune philosophe, que nous avons évoquée ici.

























Portrait de Patti Smith, sur un balcon du Chelsea hôtel, 7 mai1971, par David Gahr/Getty Images

Patti Smith chante Because the night :
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to lust
Because the night belongs to lovers
Because the night belongs to us





Sur Jean Cocteau : L'enchanteur du XXe siècle (1)   L'enchanteur du XXe siècle (2)

4 commentaires:

Célestine ☆ a dit…

J'aime beaucoup votre titre, cher Patrick !
Poétique et suggestif.
¸¸.•*¨*• ☆

Patrick Mandon a dit…

Je me suis sans doute inspiré du titre que Sagan a donné à l'un de ses romans « Un peu de soleil dans l'eau froide », dont Jacques Deray a tiré un film. Á Budapest, où je vous engage à vous rendre si vous ne connaissez pas cette ville, se trouvent de superbes bains publics, héritages de la colonisation des Turcs : par exemple les bains de l'hôtel Gelaert, superbe bâtiment de style « sécession » (l'hôtel est magnifique, avec une décoration un peu surannée, et, pour un grand nombre de chambres, une vue imprenable sur le Danube). Je vous recommande le régime douche écossaise : un séjour dans une pièce de sudation, immédiatement suivi d'une immersion dans une petite piscine où la température de l'eau ne dépasse pas 8°. Si vous résistez au choc thermique, vous éprouverez l'intense impression d'être plus légère que l'air, d'être soulevée…

V. s. a dit…

Un supebe billet sur cette grande dame. Cela m'a donné l'idée de ressusciter mon cd d'Easter, avec à l'intérieur du livret des superbes photos de Mapplethorpe, dont patti-dark et patti-light. Et il y a même une photo des frères Rimbaud enfants.
Because the night est une grande chanson, quelque soit son interprète : Patti Smith, Springsteen ...
A bientôt.

Patrick Mandon a dit…

« Les frères Rimbaud… », c'est vrai qu'il y eut un « frère ». Je ne connais pas de portrait de Jean Nicolas Frédéric Rimbaud, dont j'apprends qu'il est mort en 1911. Que sut-il de son frère, qui ne devint fameux qu'après sa mort ? Que pensa-t-il de ses poèmes, de son épuisant périple sous un soleil de plomb, toujours à cheval, les reins alourdis d'une ceinture pleine d'or : « J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds » (Mauvais sang, Une saison en Enfer).
À bientôt !