vendredi 6 novembre 2009

La femme du Pigall"s

Ingrid Caven : Liebe kommt, paroles et musique de Peer Raben



Enregistrement public réalisé au cabaret Le Pigall's, Paris, en 1978 : nous y étions. Elle parut dans une pénombre rouge, dans un crépuscule de cabaret qui rendaient plus blafard son teint, plus outré son maquillage, plus sombre son mascara. Nous fûmes conquis par cette femme post-fatale aux cheveux rouges.
Ce fut le spectacle phare de cette époque. Ingrid Caven réactivait la «rauque attitude» des chanteuses allemandes de l'Avant-guerre. Son personnage soufrée exhalait une odeur de cuir, de tabac et de foutre. Nous étions encore jeunes, elle ne l’était plus assez pour nous laisser indifférents. Au contraire, nous étions à un âge où l’on prend une maîtresse «rompue aux servitudes».et maternelle. Enfin, elle avait été la femme du Diable, l’homme à la moto, le voyou querelleur, l’allemand insupportable : Rainer Werner Fassbinder.



On l’oublia. Elle revint en 2000, avec une valise de nostalgie et la voix un peu plus traînante ; autour d’elle, l’ombre des morts. Elle était encore en vie, et nous fûmes au rendez-vous. Son présent mari, Jean-Jacques Schuhl, et le compositeur préféré de la Diva lasse, Peer Raben, écrivirent l’essentiel des chansons de l’album Chambre 1050. On y trouve également les noms de Oscar Wilde (Each man kills the things he loves), de James Joyce, associé à John Cage, de Léon-Paul Fargue en compagnie d’Eric Satie, pour l’Air du rat et Spleen, enfin d’Albert Giraud et Arnold Schönberg pour Nacht, extrait du Pierrot lunaire, créé à Berlin, en 1912.
Ces deux disques sont évidemment indispensables à la survie en milieu hostile.



Tenez, Mademoiselle Nadia, John-Bernard en personne, m'a prié de vous dire qu'il jouait spécialement pour vous ceci :



Spéciale dédicace aux penseurs du zinc, aux philosophes kronenbourg, aux handicapés du vocabulaire et de l'orthographe, aux ventripotents de l'éructation qui lancent des menaces dans l'anonymat des veules, et qui, pour désigner les africains, disent «les congoïdes» : strange fruits, par Billie Holiday. Elle vit de ces «strange fruits» pendus à une branche, victimes de la même justice expéditive qu'aimeraient instaurer certains gros ventres à bière. Chère Billie, qui fut sans doute plus durement traitée par les Noirs que par les Blancs…



Especially for Cheveux d'encre, Misty, by Ella Fitgerald :



And here is Sarah Vaughan :



Pour illustrer l'échange entre Cheveux d'encre et votre serviteur, j'ai pensé à ce duo : à priori, je n'aime pas le mélange des genres, il donne des résultats improbables, qui me mettent mal à l'aise. Or, pour une fois, cette rencontre entre James Brown et Luciano Pavarotti me satisfait entièrement. L'orchestration est parfaite, alors qu'elle aurait pu n'être que kitsch, et l'interprétation est éblouissante. Les deux hommes s'accordent parfaitement, ils s'«apparient». Jamais, peut-être, James B. n'a chanté aussi bien son fameux It's man's world. Ce faisant, il incarne admirablement la sonorité soul, directement inspirée par la simplicité biblique et la plainte vers Dieu. À la fin, les membres de l'orchestre applaudissent.
James et Luciano (voyez comme ce dernier paraît fatigué) mourront peu de temps après ce beau moment.

26 commentaires:

Corinne a dit…

"La diva lasse".. cela lui va comme un gant, long et noir, et au bout, une cigarette. Une voix très sensuelle.

Patrick Mandon a dit…

Quand je fermerai ce blog, je penserai à toutes les jolies choses qui s'y sont écrites, produites, mêlées, et je laisserai peut être ce genre de dédicace :
«On se reverra,
Comme ça
Au hasard des jours, d’une ville,
Par hasard,
Je serai comme çà
Assise au bar…»
Ainsi commence American bar, ainsi finira peut-être Tous les garçons.
J'ai toujours aimé les bars des grands hôtels. La différence de tarif est largement justifiée par la qualité du service, le décor, les personnages…
Je crois bien que j'ai essayé, ici, d'être le barman d'un tel endroit.
-Patrick, un scotch !»
-Mais bien sûr, belle Corinne? Je vous ai gardé votre place préféré, celle d'où vous pouvez voir les beaux mecs un peu enrobés, que vous aimez tant.
-Merci Patrick ! On peut toujours compter sur vous.
-Je suis là pour çà, Cheveux d'encre, et ce lieu à l'écart du monde, également.
- Tiens, justement, dehors, parlons-en ! Vous savez que ça devient insupportable. Tout va mal. Si on les laissait faire, les penseurs de bistrot, les avachis physiques, les laissés pour compte de l'amour et du plaisir, les philosophes de l'académie Kanterbrau interdiraient l'entrée principale aux musiciens noirs dans des lieux comme celui-ci !
- Eh bien, je voudrais voir cela ! Qu'ils viennent en discuter avec John-Bernard, notre pianiste : 1m 92, 110 kg, des doigts de fée, un chiraquien pur sucre, et le visage de Nat King Cole.
- Ah oui, au fait, quand arrive-t-il ? J'adore l'entendre dire, depuis le piano, en me regardant :«And now, especially for Lady Corinne, I play «Mitsy», from the great Errol Garner !»

Anonyme a dit…

N'oubliez pas d'embaucher aussi le cousin germain de John Bernard, as time goes by, play it again Sam.

http://www.qobuz.com/info/MAGAZINE-ACTUALITES/VIDEO-DU-JOUR/Play-it-again-Sam30924

Patrick Mandon a dit…

Lady N, une fois de plus, vos désirs sont des ordres. As time goes by…

Cheveux d'encre aura corrigé «votre place préférée». Mes récents affrontements avec le plus demeuré des réaconsphériques m'ont fait oublier les lois fondamentales de la grammaire : ce genre de type, c'est un vrai virus. Ebola répliqué, et compliqué de souillures de mouche noire. Sa proximité, même belliqueuse, vous fait régresser !

Anonyme a dit…

Patrick, vous tirez plus vite que votre ombre.
Sam et Rick ont toute leur place dans votre bar, il n'y manque plus qu'un vieil aventurier désanchanté revenu de tout.

Anonyme a dit…

désenchanté. Tous ne mouraient pas mais tous étaient frappés.

Patrick Mandon a dit…

«[…] il n'y manque plus qu'un vieil aventurier désenchanté revenu de tout.»
Mais, Lady N., regardez autour de vous, tous les hommes ici présents sont de cette espèce ! Leurs aventures, parfois, ont eu pour seul décor ce bar magnifique, mais ils sont bien des aventuriers. Dites-moi, vous venez ici depuis un certain temps, Lady N ; je n'arrive pas à mettre un nom sur votre parfum. Je vous dis cela, parce que, l'autre soir, un habitué, un homme très bien notez-le, m'a posé la question à votre sujet. Vous l'avez sans doute remarqué : il a les cheveux coupés très court, avec un léger sourire d'ironie sur les lèvres. Il parle rarement, mais parfois, il semble rêver tout haut ; il nomme un «communisme balnéaire», auquel il aspire comme à un idéal. Je n'y comprends rien, quant à moi, je n'ai que mon certificat d'aptitude à manier un shaker, mais vous, ça pourrait vous intéresser.

Anonyme a dit…

Si nous pensons bien au même, il le sait très bien. Euphoria, Calvin Klein.

Corinne a dit…

Misty, par Ella Fitzgerald c'est un bijou. J'adorais ce morceau sans en connaître le titre. Merci ! C'est ici
http://www.youtube.com/watch?v=mQouJdvB80U
Sinon remplacez le scotch par du Champagne ou n'importe quel liquide à bulles et ce sera parfait.

Billie, tout est là..

Anonyme a dit…

You will thank John-Bernard. He didn't change at all. Cheers.

Corinne a dit…

Black is really beautiful ! Merci cher Patrick, mais je vous préfère en smoking qu'en livrée de serveur.

Patrick Mandon a dit…

Midnight-bluet tie (introduced by the Duke of Windsor), faced with silk.
I am ready, Lady !

Corinne a dit…

Patrick, vous ne portiez que la cravate ?!
Je découvre un poème de Léopold Sédar-Senghor, vous le connaissez sûrement,"Femme nue, femme noire", une ode à la négritude et à la beauté.

Patrick Mandon a dit…

Corinne, non, mais, emporté par mon désir de vous plaire, j'ai revêtu à la hâte mon «Midnight-blue tie» (et non pas bluet, comme je l'avais écrit. Le black-tie, en effet, s'applique à la cravate, mais désigne aussi, je crois, l'ensemble de la tenue de soirée pour homme (dont la dinner jacket, qu'on appelle également tuxedo), et le pantalon, couronné d'une large ceinture de satin ou de soie (cummerbund).
La couleur traditionnelle de tout cela était le noir (on admettait le blanc, et le gris pour les cérémonies telles que le mariage). Mais le duc de Windsor s'est distingué en portant du bleu nuit. Il est vrai que Windsor s'est toujours distingué.
J'ai toujours ressenti de l'admiration pour les musiciens et artistes noirs américains. J'ai grandi sous leur influence musicale, et j'ai très vite mesuré l'importance de leur contribution à la sensibilité «moderne». Certains d'entre eux étaient des seigneurs, des hommes de grande classe : je pense à Duke Ellington, en particulier. Mais, même un voyou, parfois incontrôlable, tel que James Brown, libère une force de «soul» bouleversante.
Notez bien que cela ne m'empêche pas de considérer Franck Sinatra (un autre voyou) comme le meilleur d'entre tous les crooners. J'insiste sur le talent des Noirs, en ce moment, parce qu'un nombre grandissant de fronts bas, d'analphabètes, de petites frappes haineuses, d'une évidente inculture, et sans orthographe, nomment, en France, «Congoïdes» les africains, et en appellent ouvertement à une insurrection contre Obama en Amérique. Nous jugerons plus tard l'action politique de cet homme, laissons-le d'abord agir. Je n'ignore pas le comportement agressif et délinquant de nombre de jeunes français d'origine africaine, complètement déboussolés, privés souvent de l'autorité paternelle, sans repaire. Je peux imaginer le trouble social qu'ils représentent, leur détestation stupide, sans fondement, des Blancs. C'est à la République de répondre, d'intervenir, de sanctionner.
Mais je crois que je deviens ennuyeux : voyez où m'a entraîné ma cravate !

Corinne a dit…

Patrick, merci pour les précisions concernant l'élégance masculine anglaise, je saurai la reconnaître si je la croise !
Pour ce qui est des dérives xénophobes de certains, "Causeur" n'est pas épargné, loin de là, ce qui, je dois dire, me hérisse tout autant que vous. Il faut dire que certains articles s'y prêtent plus que d'autres. Et quand bien même il n'y aurait aucun Noir de talent, cela me révolterait de la même façon. Je ne peux oublier que mes racines pour moitié sont en Afrique, puisque mon père et toute sa famille y sont nés. Je ne suis pas non plus "pure-white" selon le terme employé par certains recruteurs (l'affaire a fait la une récemment). Voilà pourquoi je me sens peut-être encore plus concernée que vous. Le racisme anti-blanc n'est pas le même me semble-t-il, il s'agit plutôt d'une colère sociale, "sociétale" puisque le mot est à la mode. Ce n'est pas la couleur mais les privilèges supposés liés à elle qui sont visés, même si ce n'est souvent pas fondé. Ce n'est pas plus excusable pour autant, la violence sous quelque forme que ce soit est à sanctionner.
(Je crois que j'ai été bien plus ennuyeuse que vous !)

Patrick Mandon a dit…

Chère Corinne, ce qui me déplaît souverainement, ce que je juge insupportable, c'est la revendication moderne du racisme qu'on nomme le «racialisme». On n'ose plus écrire «Bamboula», alors on dissimule sa crasse morale derrière le mot infâme de «congoïde», et, au lieu de fournir l'effort d'une analyse politique de la situation de l'Afrique, on réduit les épreuves qui se succèdent sur ce continent à des preuves d'infériorité «morale».
Lorsqu'on écarte de l'humanité «ordinaire» des groupes ou des peuples, on les condamne, ou on les abandonne à subir la dictature de l'irrationnel.
Pour le reste, voyez-vous, Cheveux d'encre, je me sens très Européo-centré, blanc, bourgeois, de tradition, d'éducation catholique. Tous les paysages de la vieille Europe me séduisent, me parlent, m'appellent. C'est une sorte d'enchantement auquel j'ai succombé très jeune.

Corinne a dit…

L'Occident entretient à dessein des dictatures mafieuses en Afrique, ce n'est un secret pour personne. Leur reprocher leur manque d'autonomie et leur incapacité de développement, relève du cynisme. Pour le reste, nous avons chacun nos appartenances de coeur et de raison. Elles sont parfois compatibles et souvent indissociables. Mais je me méfie des passions aveugles.
Bien à vous.

Patrick Mandon a dit…

Corinne, voyez ce que j'ai déposé dans le message La femme du Pigall's. C'est à votre attention. Je pense que cela vous plaira.

Corinne a dit…

Pavarotti et James Brown ! Chacun garde son registre et son style pourtant l'ensemble s'harmonise, grâce à l'orchestration sans doute. This is a men's world, si seulement ils pouvaient tous "s'apparier" comme vous dites aussi bien que ces deux là, qui ne sont plus malheureusement. Touchée ! Merci.

Anonyme a dit…

This is a man's world, this is a man's world
But it wouldn't be nothing, nothing without a woman or a girl
... La chair de poule, direct. Merci Patrick.

Patrick Mandon a dit…

Un petit passage à vide, en ce moment. Sentiment de vanité des choses, des débats, des sites, des blogs. Je pense que mes contemporains glissent vers des solutions simples et déplaisantes, qu'ils aspirent à régler des comptes.
Comment continuer ?

Anonyme a dit…

Le blog est un exercice solitaire. Même si nous prenons grand plaisir à profiter de vos trouvailles, vous êtes seul maître à bord,avec toutes les interrogations et incertitudes que cela suppose. C'est bien pour cette raison que je n'en tiendrai jamais. Je n'aurai jamais le courage ni l'audace d'affronter jour après jour des regards amis ou complices, hostiles ou moqueurs. Trouver, puiser au fond de soi de quoi amuser, surprendre, toucher. C'est un beau cadeau renouvelé que vous nous faites, un délit d'émotion continu comme on dit en droit pénal.
Que vous importent nos contemporains, certains d'entre eux tout au moins, gardez votre cap, mon ami, ne vous en détournez pas, ni de lui, ni de nous. Je vous embrasse
nadia

Patrick Mandon a dit…

«un délit d'émotion continu»
On ne pouvait pas mieux qualifier mon intention !
Mon souci était également celui-ci : que faire à présent ? Pourra-t-on maintenir un bon niveau d'intérêt, d'excitation, de surprise ? Faut-il fermer, avant de décevoir, ou de lasser ? Si je baissais le rideau maintenant, nous aurions réussi quelque chose. Le souvenir nous en serait agréable. Nous aurions été les convives d'un beau dîner, d'un souper plutôt, qui se serait prolongé très tard dans la nuit. Est-ce le jour qui vient ?

Corinne a dit…

Patrick, c'est vous le maître d'oeuvre ! Vous seul pouvez décider de son achèvement. Nous ne nous lassons pas de voir évoluer au gré de vos envies et malgré les tempêtes ce que vous nous offrez en partage. Cet espace, comme un refuge.

Euréka a dit…

Non Cher Patrick, ne laissez pas tomber votre blog. En ces moments difficiles et compliqués que je traverse (décès, tracas familiaux à n'en plus finir, une belle-mère qui un jour dit oui un autre non), vous êtes ma roue de secours. Je viens tous les jours (même si je n'ai pas le temps d'écrire). J'aime vos échanges avec Corrine et Nadia (ainsi qu'Emilie).
J'attends la suite des aventures de votre cousine avec impatience.
Cependant, si vous pensez devoir arrêter, je garderai très longtemps en mémoire ces échanges.

Pour aborder un autre sujet de vos échanges avec Corrine, je dirai que la bêtise humaine est incommensurable. Certains essayent de dévoyer Causeur de ce qu'il est. Peut-être vaudrait-il mieux les ignorer, car la Haine et l'Amour sont des sentiments, alors que l'indifférence... Comment dire ? Cependant, je reconnais que parfois il est très difficile de ne pas répondre.
Sincères amitiés à tous

Patrick Mandon a dit…

Charmante Euréka ! Où en est votre texte ? Nous l'attendons !
Voyez le nouveau message : il est un peu pour vous, il parle du «tourbillon de la vie», de ce perpétuel mouvement qui nous entraîne.
Pour le reste, chère inconnue, je ne permettrai jamais à des analphabètes de s'étaler sur causeur. Par conséquent, lorsque l'un de ces malfaisants s'y présentera, il me retrouvera en face de lui.